Face aux Obstacles à l’Avortement des Personnes Transgenres: un militant Béninois appelle à l’Inclusion

Face aux Obstacles à l’Avortement des Personnes Transgenres

By: Nissia Benghazi

À la suite de la décision de la Cour suprême des États-Unis d’annuler l’arrêt Roe v. Wade, le discours sur les personnes concernées par le droit à l’avortement s’est largement concentré sur un groupe spécifique : les femmes cisgenres. Mais le militant transgenre Nazareth Osseni, originaire du Bénin, estime que le débat sur les droits reproductifs doit être plus inclusif pour les personnes dotées d’organes reproductifs mais qui s’identifient différemment. “Validez nos sentiments, nous existons”, dit-il. Il ne fait aucun doute que la misogynie institutionnelle et le contrôle des corps constituent une menace majeure pour la justice en matière de reproduction partout dans le monde. Il est temps que les législateurs cessent d’attaquer ce droit et commencent à œuvrer pour que les femmes et les hommes transgenres aient accès aux soins dont ils ont besoin, quelle que soit leur identité de genre.

L’avortement est une question très controversée et polarisante, les opinions sur la moralité et la légalité de la procédure étant très divergentes. Bien que le protocole de Maputo ait eu 20 ans cette année, les lois sur l’avortement en Afrique varient encore considérablement. Dans certains pays, l’avortement est illégal en toutes circonstances, tandis que dans d’autres, il n’est autorisé que pour sauver la vie de la femme, ou dans des cas spécifiques de viol ou d’inceste (1). Jusqu’en octobre 2021, le Bénin criminalise fermement les demandeurs d’avortement ou toute personne ayant intentionnellement provoqué un avortement ou fourni les moyens pour un avortement. L’article 352 du Code pénal stipule clairement que la violation de la loi peut être punie d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans (1).

Le Contexte de l’Avortement au Bénin

À la lumière de cette grave privation des droits humains, les efforts visant à élargir l’accès à l’avortement sécurisé et légal au Bénin se sont heurtés à la résistance des groupes conservateurs, y compris des organisations religieuses. En 2018, le gouvernement a proposé une nouvelle loi qui élargirait l’accès à l’avortement en cas de viol, d’inceste, de malformation du fœtus et lorsque la grossesse présente un risque pour la santé ou la vie de la personne enceinte. Cependant, la loi n’a pas encore été mise en œuvre, par conséquent, les informations relatives aux personnes autorisées à gérer ces services restent donc vagues. Ainsi, bien que le ministère de la Santé ait publié des directives autorisant certaines circonstances d’avortement, le contexte juridique de l’avortement sécurisé au Bénin reste restrictif et les femmes continuent de se heurter à des obstacles importants pour accéder aux soins auxquels elles ont droit. Pour rappel, lorsque l’avortement est illégal ou difficile d’accès, les personnes sont plus susceptibles de recourir à des méthodes dangereuses, les exposant potentiellement à un danger irréversible et mortel.

Pour approfondir cette discussion, j’ai eu l’honneur d’interviewer Nazareth Osseni, un militant des droits des personnes transgenres de Cotonou, au Bénin, pour discuter des obstacles uniques que les lois restrictives sur l’avortement créent pour des personnes comme lui. Nazareth Osseni met en garde que les risques d’exclure ce groupe déjà marginalisé de la discussion augmente les obstacles que les personnes transgenres rencontrent lorsqu’elles accèdent aux soins en matière d’avortement au Bénin. Pour rappel, le Bénin est l’un des rares pays d’Afrique à autoriser l’avortement. La nouvelle loi a été votée en octobre 2021, mais sa mise en œuvre n’est pas encore totalement effective sur le terrain. Le ministère de la Santé a mis à jour ses directives pour autoriser l’avortement dans certaines circonstances, précisant que : à la demande de la femme enceinte, l’interruption volontaire de grossesse peut être autorisée lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou de provoquer une situation de détresse matérielle, éducative, professionnelle ou morale-incompatible avec l’intérêt de la femme et/ou de l’enfant à naître.

Malgré ces mesures progressistes, il est important de noter que l’accès à des soins d’avortement sécurisés au Bénin reste limité et que les avortements pratiqués dans des conditions dangereuses constituent toujours un problème de santé publique important. De nombreuses femmes et personnes transgenres ont recours à des avortements non médicalisés, qui peuvent entraîner de graves complications de santé, voire la mort dans certains cas.

Témoignage d’un Militant Transgenre

“Les personnes transgenres fréquentent les mêmes établissements médicaux que les personnes cisgenres, ce qui les expose à une discrimination et à une stigmatisation importantes. Ces menaces sont décourageantes et déprimantes, et c’est pourquoi de nombreuses personnes transgenres préfèrent s’automédicamenter plutôt que d’aller chez le médecin et d’affronter toutes ces menaces. Bien que la stigmatisation de la part les professionnels de la santé soit de plus en plus rare”. – Nazareth Osseni

Osseni affirme que les personnes transgenres sont encore fortement ostracisées en raison de leur statut transgenre, et décrit la vie des personnes transgenres, en particulier au Bénin, comme étant caractérisée par la douleur, le rejet social et le harcèlement motivé par la haine. En raison de leur exclusion, les personnes dotées d’organes reproducteurs courent un risque plus élevé de grossesses non désirées, étant donné le manque d’accès à une éducation sexuelle complète et à la contraception. Cela les place directement dans une position vulnérable, avec une probabilité plus élevée d’être confrontées à des grossesses non désirées et aux problèmes qui y sont associés. Elles se heurtent à des obstacles supplémentaires lorsqu’elles accèdent aux soins médicaux, en raison du manque de compréhension des prestataires de soins de santé, même si ces chiffres sont en baisse (2). Cela peut être attribué au fait que l’organisation Synergie Trans Bénin travaille désormais en partenariat avec des centres de santé identifiés, où des professionnels proches de leur communauté facilitent l’orientation des patients et font office de points focaux pour les personnes transgenres.

“Dans la société, les personnes transgenres comme moi sont régulièrement victimes de viols, parfois même de viols organisés par la famille. Pour retrouver ce qu’ils appellent le “goût” du pénis… Pour les remettre dans le droit chemin. Souvent, ces situations conduisent à des grossesses non désirées et les poussent à recourir à des méthodes d’avortement dangereuses. Bien que le Bénin ait voté une loi plus large sur l’avortement, il s’agit toujours d’une société profondément religieuse où le christianisme l’interdit.”

Ce témoignage touchant met en lumière une autre facette de la réalité à laquelle de nombreuses personnes transgenres sont encore confrontées aujourd’hui : les rapports sexuels forcés, le viol. Une expérience traumatisante et un processus générateur de peur qui peut déclencher l’angoisse de l’accouchement chez les hommes transgenres. Les sentiments de dysphorie de genre sont souvent exacerbés par les grossesses non désirées, ce qui peut avoir un impact sur leur santé mentale et leur bien-être (2). La dysphorie de genre se caractérise généralement par des sentiments de malaise qu’une personne peut éprouver en raison d’un décalage entre l’identité biologique et l’identité de genre.

Osseni déclare que “la personne se considère comme un homme – il est violent de tomber enceinte contre son gré et de l’assumer devant les autres. Une circonstance très douloureuse sur le plan émotionnel. Vos propres sentiments de malaise et d’inconfort, la perception que les autres ont de vous, tout cela se répercute au fond de votre conscience. Les gens ont déjà du mal à accepter les personnes transgenres, alors imaginez les personnes transgenres enceintes ? Très peu de gens ont la capacité de nous comprendre et de comprendre nos défis en matière de reproduction […] Certaines personnes transgenres tombent enceintes volontairement et l’acceptent, mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Le système de santé au Bénin a besoin d’une profonde réforme structurelle.”

C’est pourquoi Osseni préconise une approche particulière pour les hommes transgenres. Il faut faire pression pour que le mouvement pour le droit à l’avortement s’étende à la communauté trans, qui a généralement tendance à être exclue de la sphère publique. Selon le militant, les mesures de santé devraient se concentrer sur l’éducation et la formation du personnel médical au renforcement des capacités et aux questions d’identité transgenre, sur la sensibilisation des familles et des jeunes par le biais de groupes de discussion. Les personnes transgenres devraient bénéficier davantage de programmes de développement menés par l’État et visant à promouvoir une santé mentale positive, des séances d’intercommunication personnelle et des conseils en matière de santé sexuelle et reproductive.

Il est essentiel de reconnaître que le droit de contrôler son propre corps et de prendre des décisions concernant sa propre santé reproductive est un droit fondamental pour toutes les personnes, y compris les hommes transgenres. Ce droit ne devrait pas être refusé ou restreint sur la base de l’identité de genre d’une personne. L’accès à un avortement sécurisé et légal est un aspect central des soins de santé reproductive, en particulier pour les hommes transgenres, qui sont confrontés à des obstacles discriminatoires supplémentaires. Il est important que les législateurs et les prestataires de soins de santé travaillent ensemble pour lever les obstacles et garantir à chacun l’accès aux soins dont il a besoin, quelle que soit son identité ou son orientation de genre.

  1. “Abortion in Benin.” safe2choose, safe2choose.org/abortion-information/countries/benin. Accessed March 2023.
  2. “Ostracism as Predictor of Subjective Well-being in Transgender Community.” ASEAN Journal of Psychiatry, Vol. 23(4), April 2022, www.aseanjournalofpsychiatry.org/articles/ostracism-as-predictor-of-subjective-well-being-in-transgender-community.pdf. Accessed March 2023.