Par Olivia Hooper
Bien que nous espérions que l’avortement soit considéré pour ce qu’il est – un soin de santé essentiel et donc un droit fondamental – la montée des interdictions d’avortement dans le monde est préoccupante.
Pour comprendre les avancées ou les reculs sur l’’interdictions de l’avortement, revenons en arrière et examinons l’histoire de la législation sur l’avortement ainsi que l’impact des récentes évolutions sur la santé des femmes et leur accès à l’avortement.
Des siècles de stigmatisation
Les États-Unis sont réputés pour leur histoire tumultueuse avec l’avortement. Les restrictions à l’autonomie corporelle remontent à la fin du XIXe siècle, avec la normalisation des lois contre l’avortement. En 1880, tous les États américains disposaient de lois restreignant l’avortement, à quelques rares exceptions près. L’ensemble de ces réglementations a favorisé l’enracinement d’une stigmatisation profonde, qui continue d’affecter lourdement le droit de choisir aujourd’hui.
L’inaccessibilité généralisée de l’avortement a nourri un discours négatif, aboutissant en 1910 à une interdiction totale à tous les stades de la grossesse, dans chaque État américain. Selon Planned Parenthood, la seule exception concernait les avortements pratiqués pour sauver la vie de la patiente – une décision qui relevait exclusivement des médecins, dont 95 % étaient des hommes.
Pendant cette période, les États-Unis ont connu un important afflux d’immigrants, notamment en provenance du Mexique, du Japon, de la Chine, de Cuba et de Porto Rico. Bien que cette immigration ait été en grande partie encouragée par les décideurs politiques américains pour accroître le nombre de travailleurs migrants, de nombreux hommes blancs ont commencé à craindre de perdre leur emprise sur le pays. Pour ceux au pouvoir, soutenir l’interdiction de l’avortement était un moyen d’inciter les femmes blanches de la classe supérieure à avoir plus d’enfants.
Cependant, comme aujourd’hui, les restrictions à l’avortement n’ont pas empêché les gens d’y avoir recours. Au contraire, elles ont entraîné des avortements dangereux et causé la mort de près de 2 700 femmes en 1930, soit près d’un décès maternel sur cinq (18 %) enregistré cette année-là, selon l’Institut Guttmacher.
Décision Dobbs
Avançons jusqu’à une période plus récente aux États-Unis ; malheureusement, la situation ne s’est pas améliorée. En 2022, une décision historique a été rendue, appelée « décision Dobbs » ou, en version intégrale, Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization. Cette décision porte sur la question de savoir si la Constitution protège le droit à l’avortement. Dans l’affaire Dobbs, la Cour suprême des États-Unis a examiné la constitutionnalité de la loi du Mississippi sur l’âge gestationnel, qui interdit la plupart des avortements après 15 semaines de grossesse, sauf en cas d’urgence médicale ou d’anomalie du fœtus.
Dans un avis partagé, la Cour a confirmé la loi du Mississippi et a annulé les décisions Roe v. Wade (1973) et Planned Parenthood v. Casey (1992), concluant que la Constitution ne protégeait pas le droit à l’avortement.
La décision de la Cour suprême dans l’affaire Dobbs a rendu aux gouvernements des États et au Congrès le pouvoir d’adopter des lois sur l’avortement, au lieu d’une règle nationale. Le juge en chef M. Roberts a accepté que la loi du Mississippi sur l’avortement soit maintenue, mais il estimait que la Cour était allée trop loin en annulant Roe v. Wade et Planned Parenthood v. Casey. Selon lui, cette décision aurait dû attendre une autre affaire. Pendant ce temps, les juges Breyer, Kagan et Sotomayor ont exprimé un profond désaccord, affirmant que cet arrêt supprimait près de 50 ans de protections légales et portait atteinte aux droits des femmes à la liberté et à l’égalité.
Quatre grands changements en 2024
Au cours de l’année écoulée, quatre pays ont apporté des modifications majeures à leurs lois sur l’avortement : le Mexique, les États-Unis, la France et la Pologne. Le Mexique a célébré la décision de la Cour suprême de dépénaliser l’avortement pendant les 12 premières semaines de grossesse. La France a également marqué l’histoire en devenant le premier pays en 2024 à inscrire explicitement le droit à l’avortement dans sa Constitution.
Malheureusement, la Pologne et les États-Unis ont adopté des mesures plus restrictives concernant l’accès à l’avortement. La Pologne a décidé de limiter les motifs légaux d’avortement, y compris en cas d’anomalies fœtales. Désormais, les femmes en Pologne ne peuvent avorter que dans les cas de viol, d’inceste ou lorsque leur vie est en danger.
De même, les États-Unis ont encore régressé et plusieurs États ont imposé des interdictions totales. Depuis l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade en 2022, chaque État est libre d’adopter ses propres lois sur l’avortement. Aujourd’hui, 14 États appliquent des interdictions quasi totales.
Parmi ces 14 États, quatre ont pris des mesures encore plus restrictives en 2024. Par exemple, le Texas a renforcé l’application de son interdiction de l’avortement en ajoutant de nouvelles sanctions pour les personnes aidant à obtenir un avortement hors de l’État. L’Idaho a mis en place des restrictions supplémentaires, notamment en pénalisant les personnes qui aident des mineures à accéder à un avortement hors de l’État sans le consentement parental. Le Wisconsin s’est efforcé de rétablir sa loi sur l’avortement datant de 1849, entraînant une série de batailles judiciaires tout au long de l’année. En Virginie-Occidentale, l’interdiction quasi totale de l’avortement reste en cours d’ajustement, avec de nouveaux débats sur les exceptions limitées et les mécanismes d’application. D’autres États appliquant une interdiction totale, avec peu ou aucune exception, incluent l’Alabama, l’Arkansas, le Kentucky, la Louisiane, le Mississippi, le Missouri, l’Oklahoma, le Dakota du Sud et le Tennessee.
Quatre autres États – la Géorgie, la Caroline du Sud, la Floride et l’Iowa – ont interdit l’avortement après environ six semaines de grossesse. D’autres États ont adopté des lois ou organisé des référendums pour protéger le droit à l’avortement. Le nombre d’interdictions et de restrictions va probablement augmenter sous la présidence de M. Trump.
Impact de l’accès limité à l’avortement sur la santé
Dans toute l’Asie, il existe un lien étroit entre les réglementations strictes sur l’avortement et les complications sanitaires dues aux avortements pratiqués dans des conditions dangereuses. La majorité des pays d’Asie, y compris l’Irak et les Philippines, disposent des cadres législatifs très strict sur l’avortement, certains ne prévoyant aucune exception, même lorsque la vie de la femme enceinte est en danger. Selon l’Institut Guttmacher, environ 2,3 millions de femmes sont hospitalisées chaque année sur le continent en raison d’avortements non sécurisés.
Le Japon se distingue par sa législation, non seulement à l’échelle continentale mais aussi mondiale, car il a été l’un des premiers pays à légaliser l’avortement en 1948 dans certaines circonstances, notamment pour des raisons de santé et économiques. Aujourd’hui encore, le pays dispose de nombreux motifs pour lesquels l’avortement est autorisé. De 2015 à 2019, le Japon a enregistré un total de 1 360 000 grossesses par an. Sur ce total, 551 000 grossesses n’étaient pas désirées et 166 000 se sont terminées par un avortement.
Lorsque l’accès à l’avortement est limité à de rares circonstances, cela a un impact négatif notable sur la santé des femmes. Par exemple, au Pakistan, une enquête auprès des professionnels de santé indique que : « deux tiers des femmes ayant recours à un avortement clandestin le font auprès de médecins, d’infirmiers ou de sage-femmes. Le tiers restant court un risque accru de complications, car elles s’adressent à des prestataires traditionnels (24 %), se tournent vers des pharmaciens ou d’autres points de vente commerciaux (5 %), ou pratiquent l’auto-avortement (4 %) ».Les femmes pakistanaises issues de foyers à faible revenu et cherchant à avorter clandestinement sont confrontées à un taux de complications plus élevé – 45 % contre 31 % pour les femmes de milieux plus aisés – en raison du recours à des méthodes non sécurisées et à des prestataires non formés.
Il est difficile de comprendre l’impact des grossesses non désirées sur les populations asiatiques au fil des années, car de nombreuses enquêtes n’incluent pas les femmes non mariées, selon l’Institut Guttmacher.
Toutefois, une étude conjointe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Institut Guttmacher, réalisée entre 2015 et 2019, a révélé que les taux de grossesse non désirée et d’avortement en Asie variaient considérablement d’un pays à l’autre, mettant en évidence des disparités dans l’accès aux soins de santé. En Asie de l’Est et du Sud-Est, l’avortement reste largement pratiqué malgré les restrictions légales dans certaines régions, tandis qu’en Asie du Sud, la demande d’avortement dépasse souvent la disponibilité de services sécurisés, entraînant une augmentation des procédures à risque.
En Europe, la République d’Irlande a historiquement appliqué des lois extrêmement restrictives sur l’avortement, qui ont été assouplies en 2018. Désormais, l’avortement est autorisé jusqu’à 12 semaines de grossesse, ainsi que dans les cas où la santé de la personne enceinte est en danger. Bien que l’avortement soit maintenant légal et gratuit en début de grossesse, l’accès reste extrêmement limité : seuls neuf des 26 comtés du pays proposent des services d’avortement. Parmi ces neuf zones, moins de cinq médecins généralistes sont enregistrés pour fournir ces services, rendant l’accès aux soins d’avortement extrêmement difficile.
Malte reste le pays Européen avec les réglementations les plus strictes sur l’avortement. Cependant, en 2023, des signes de progrès ont été observés : l’avortement est désormais autorisé lorsque la vie de la femme est en danger. L’organisation pro-choix « Doctors for Choice Malta » affirme que ces lois sévères poussent de nombreuses femmes à commander des pilules abortives en ligne ou, si elles en ont les moyens financiers, à se rendre à l’étranger pour avorter.
Qui plaide en faveur du droit à l’avortement ?
Il peut sembler que le monde soit contre l’avortement, mais de nombreuses organisations et de personnes extraordinaires défendent le droit de choisir. safe2choose fait partie de ces organisations qui visent à soutenir et à éduquer sur l’avortement et les droits qui y sont liés à travers le monde. Si vous cherchez du soutien concernant l’avortement, rendez-vous sur la page de safe2choose où vous trouverez des services de conseil gratuits.
Une organisation basée aux États-Unis, Reproductive Freedom For All, propose une section d’inscription sur son site web pour vous permettre de vous impliquer dans leur travail de plaidoyer et de participer au mouvement pour le changement. SYA, Shout Your Abortion, offre également une plateforme sécurisée pour partager des témoignages sur l’avortement, assister à des webinaires et bien plus encore.
En Asie, plusieurs réseaux plaident en faveur des droits génésiques, tels que le Philippine Safe Abortion Advocacy Network (PINSAN) et la division Asie de l’Est, du Sud-Est et Océanie de l’IPPF (IPPF ESEAOR). Cette branche régionale de la Fédération Internationale pour la Planification Familiale soutient les droits sexuels et génésiques, y compris l’accès à des services d’avortement sécurisé dans plusieurs pays Asiatiques.
En Europe, le Center for Reproductive Rights (CRR) œuvre dans plusieurs pays européens pour promouvoir des réformes législatives et protéger l’accès à l’avortement en tant que droit humain fondamental. Women on Waves, une organisation néerlandaise, fournit des informations et un accès à des services d’avortement sécurisé, notamment en livrant des pilules abortives dans les pays où la législation est restrictive.
En Amérique latine et dans les Caraïbes, il existe le CLACAI (Consortium pour l’accès à l’avortement sécurisé en Amérique latine et dans les Caraïbes), un réseau qui soutient la recherche, le plaidoyer et les politiques publiques afin de promouvoir l’accès à l’avortement sécurisé dans toute la région.
En Afrique, il y a Hope Advocates Africa, une organisation qui consacre à la défense de la santé et des droits sexuels et génésiques, y compris l’accès à l’avortement sécurisé, dans plusieurs pays africains grâce à la mobilisation communautaire, au renforcement des capacités et aux partenariats. Dans la région de l’Afrique de l’Est, l’Ipas Africa Alliance travaille à réduire les décès liés aux avortements à risque et à améliorer l’accès aux soins d’avortement sécurisé au Kenya, en Ouganda et dans toute l’Afrique de l’Est.
Il ne s’agit là que quelques-unes des nombreuses organisations qui soutiennent les personnes à travers le monde. N’oubliez pas que vous n’êtes pas seule.